Philoland est un pays auquel on accède en philosophant ou en pensant, théoriquement accessible à tous. Sa géographie ressemble à celle de nos pensées. Il s’agit donc d’un pays aux mille visages, qui se modifie pour satisfaire les réflexions et les rêves de chacun.

Du Banquet

"Quand on est un sage et qu'on a du savoir-boire." Georges Brassens, extrait de la chanson "Le Vin"

Il est une autre chose à mentionner au sujet des Philosophes du temps jadis, une habitude étonnante : ils aimaient se rassembler autour d'un d'un bon repas, plus communément appelé le  συμπόσιον /symposion _ traditionnellement traduit par "banquet", plus littéralement "réunion de buveurs" Une bonne dose de mystère entoure les origines de cette coutume particulière, si nous lisons Homère, nous constaton que lorsqu'il y a un grand repas, il s'agit presque toujours d'un repas qui accompagne un sacrifice à un Dieu. On sait qu'il comprend deux parties : la première est consacrée à la nourriture, généralement assez simple, et la seconde à la boisson. En réalité, on consomme également du vin avec le repas, et les boissons sont accompagnées des τραγήματα / tragếmata ou friandises à grignoter : châtaignes, fèves, grains de blé grillés ou encore gâteaux au miel, chargés d'absorber l'alcool et de prolonger la beuverie. Tout ce qui a pu être découvert à ce sujet dans l'antiquité a été réuni par l'auteur grec tardif Athénée (2ème/3ème siècle ap. J.-C.) puis nous possédons deux ouvrages, l'un de Platon, l'autre de Xénophon  intitulés"Banquet". 


" De nos jours encore, les amants des lettres trouvent aux banquets où assistèrent ensemble Socrate et ses amis même intérêt, même plaisir que les convives de ce temps-là. Or supposé l'élément matériel fournissant alors l'agrément à sa façon, c'était à Xénophon et à Platon de laisser après eux un souvenir écrit non pas de ce qui s'était dit à la table de Callias ou Agathon, mais de ce qu'on y avait servi : mets, plats cuisinés, "amuse-gueules" . Le fait est pourtant que ces choses-là, quoique ayant évidemment exigé apprêts et dépenses, jamais n'ont été jugées dignes de mention quelconque. Les propos philosophiques, eux, assortis de badinage, on s'est empressé de les coucher par écrit..."

(Plutarque, Propos de table, dédicace du livre VI, p. 686 a-e (trad. légèrement modifiée)

On ne sait quand les Philosophes commencèrent à se réunir en banquet; toutes les légendes et les histoires de famille le considèrent comme chose établie. Peut-être parce qu'ils ne mangeaient pas tous et toujours à leur faim les Philosophes anciens aimaient les banquets, où ils se laissaient aller sans retenue à la fois à leur appétit, leur verve et leur verre dionysiaques et souvent aussi à l'alacrité de leur intelligence. Notons que les banquets dont nous allons parler sont typiquement attiques (les sobres Lacédémoniens et les non moins sobres Crétois ne manquaient pas de les critiquer).


Pour imaginer ces banquets, nous avons plusieurs sources et tout d'abord les nombreux vases attiques qui nous montrent des scènes de banquet plus ou moins animées. Ces repas d'apparat, où l'on continue à manger avec ses doigts et à boire à la régalade.  


De quelle façon se déroulaient ces banquets ? 
Le dîner a d'abord lieu, comme nous l'avons dit précédemment; on s'y abstient de boire du vin, sinon juste une gorgée de vin pur en fin de repas en l'honneur du Bon Génie (Agathos Daïmon) ou de Santé (Hygieia). On enlève alors les tables du dîner ; s'il y a des invités venus de l'extérieur seulement pour le banquet, ils remettent à l'entrée aux esclaves chaussures et manteaux. Ensuite des esclaves apportent les cratères, dans lesquels le vin a été préalablement mélangé à de l'eau (2/3 ou 3/4 d'eau), les oenochoés pour verser le vin, et les coupes. Puis on procède, en principe, à trois libations, la dernière toujours adressée à Zeus et parfois suivie du chant d'un péan accompagné de flûte ; on se couronne de fleurs et on se prépare résolument à boire. "Pithi è apithi" (bois ou va-t-en) est, paraît-il, l'exhortation adressée aux buveurs timides. Alors est désigné par un tirage au sort (par les dés le plus souvent) un roi du banquet (symposiarque); celui-ci fixe le nombre de coupes que les convives doivent boire et d'ailleurs on est tenu de boire à la santé de tous les convives (Athénée, Deipnosophistes) . Quiconque n'observe pas les lois dictées par le roi du banquet est tenu de payer une amende.

Et à quoi s'occupe-t-on tout en buvant ?
Souvent, faute de sujet de conversation, comme on le voit dans l'ouvrage de Xénophon, on doit faire appel, moyennant finances, aux services d'amuseurs de profession : joueuse de flûte, cithariste, danseuse, voire courtisanes... Des chansons (scolies) y trouvent leur place : en s'accompagnant de la lyre chaque convive qui en a envie peut chanter la sienne à son tour ; quelquefois aussi on pratique un jeu de société : jeu des portraits, (Platon, Banquet) ou devinettes (Xénophon, Banquet) mais le jeu à la mode  au Ve et IVe siècle av. J.-C était le le cottabe : 

Comment joue-t-on au cottabe?

Et c'est certainement de Sicile que l'art du cottabe véritable se répandit au cours des siècles parmi les grecs et autre gens tels que les philosophes, il consiste en un détournement ludique de la libation effectuée au début de chaque banquet : dans une libation, on verse quelques gouttes de vin sur le sol en invoquant le nom d'une divinité, principalement Dionysos. À l'origine, pour le cottabe, on verse le reste de sa coupe de vin en invoquant la personne aimée. Par la suite, la pratique se transforme en jeu : l'objectif est alors de jeter le reste de vin (λάταξ / látax) dans un bassin, posé par terre ou sur une table, toujours en prononçant le nom d'une personne aimée. Si les gouttes de liquide atteignent effectivement la coupe, c'est un heureux présage. Outre le présage, le gagnant au cottabe remporte souvent un petit lot : œuf, pomme, gâteau, coupe, voire un baiser.



La peinture sur vases montre que le jeu se pratique en tenant une anse du kylix (coupe plate) par un ou deux doigts, les autres doigts étant arrondis « à la manière des joueurs de flûte ». Le poignet est plié ; le lancer se fait par rotation de ce dernier plutôt que par mouvement du bras entier, comme pour le lancer du javelot. L'adresse ne suffit pas : il est important de réussir un lancer souple, de bonne tenue, pour tout dire beau.
Outre les banquets, il se pratique aussi dans les bains. Une anecdote met ainsi en scène le philosophe Diogène abordant un jeune joueur aux bains publics, et déclarant : « mieux tu feras, pis ce sera », le mettant ainsi en garde contre le risque de s'attirer trop de soupirants par son adresse au cottabe.
 Le cottabe est étroitement associé à l'ivresse. Le dérivé κοτταϐίξω / kottabízô, « jouer au cottabe », est utilisé par la suite comme euphémisme plaisant pour « vomir ».

Amipsias compose au ve siècle av. J.-C. une comédie intitulée ποκοτταϐίζοντες / Apokottabízontes (« les joueurs de cottabe »), qui n'a survécu que par fragments. On ignore donc le contenu de l'intrigue ; peut-être s'agissait-il de l'expédition de la bande de joueurs de cottabe ivres qui, dans Les Acharniens d'Aristophane, enlèvent une prostituée et se trouvent à l'origine de la Guerre du Péloponnèse. 

Variantes du cottabe
Il existe plusieurs variantes du jeu. 
Version dans laquelle on vise non pas la coupe elle-même, mais de petite soucoupes en terre cuite (ὀξυϐάφα / oxybápha) flottant dans la coupe remplie d'eau. Le but est alors de renverser ces petits récipients en jetant son reste de vin ; celui qui en coule le plus est le vainqueur.


Le κότταϐος κατακτός / kóttabos kataktós est l'autre principale variante. L'adjectif kataktós (de κατάγω / katágô « faire descendre, amener en bas ») signifie « qui peut être abaissé » ; on ne sait pas avec certitude à quoi il s'applique. Le principe consiste à atteindre un petit plateau (πλάστιγξ / plástinx) posé en équilibre au sommet d'une tige de métal. Renversé, le plateau tombe sur ou dans le μάνης / mánês en faisant du bruit. La nature de cet objet n'est pas connue avec certitude : il pourrait s'agit d'un récipient sur lequel serait fixée la tige, d'une statuette d'esclave nommée Manès13 ou d'un autre disque sur lequel le plastinx rebondit en faisant du bruit.

Strictement réservé aux hommes — à l'exception des danseuses et des courtisanes, les femmes se devaient de rester entre elles dans la pièce qui leur est réservée; celle qui se mêle aux hommes est vue comme une esclave, passible d'attaque en justice — le banquet est un élément essentiel de la sociabilité grecque.
Il peut être organisé à l'instigation d'un particulier conviant ses amis ou sa famille, à l'instar de modernes invitations à dîner. Il peut également rassembler, de manière régulière, les membres d'une association religieuse ou d'une hétairie (sorte de club aristocratique). Les grands banquets sont évidemment l'apanage des plus riches, mais dans la plupart des foyers grecs, les fêtes religieuses ou les événements familiaux sont l'occasion de banquets plus modestes. Les 7 sages en firent leur rendez-vous régulier. Les romains reprendront cette tradition.

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