Philoland est un pays auquel on accède en philosophant ou en pensant, théoriquement accessible à tous. Sa géographie ressemble à celle de nos pensées. Il s’agit donc d’un pays aux mille visages, qui se modifie pour satisfaire les réflexions et les rêves de chacun.

Chapitre 4: Athéna le passage


L'horloge du lycée sonna 15 coups. Simon s'étonna que le temps ait passé si vite. Le temps en classe lui paraissait bien plus long. Simon pensa à ses camarades qui devaient être en classe d'histoire avec Madame Ressouriez  qui portait bien son nom, car elle prenait un malin plaisir à tourner Simon en ridicule devant tout le monde, parce qu'il n'arrivait absolument pas à retenir les dates des batailles, les périodes de règne de quiconque, encore moins les dates de naissance des personnages historiques.

Dans ce commencement du crépuscule, le marbre blanc du Parthénon, cet édifice majestueux, fruit de onze années de travail, qui abritait le trésor de la Ligue de Délos, se teintait d’un rose sépulcral. Face à un tel monument, Baccalarius se sentait petit devant tant de génie. Si le fronton oriental représentait la naissance si particulière d’Athéna, sortant casquée et armée du cerveau de Zeus, le fronton occidental représentait la non moins fameuse lutte victorieuse de la déesse sur Poséidon pour la conquête de l’Attique. Athènes était née de cette victoire.



 Baccalarius se demandait combien avait pu coûter un tel édifice, et il se souvenait d’un cours d’histoire au collège avec Madame Roueriez qui racontait que les alliés d’Athènes ainsi que certains athéniens s’étaient insurgés contre Périclès et le coût d’un tel édifice ! Baccalarius soudainement se sentit dans la peau de Périclès et admettait que la postérité d’une civilisation n’avait pas de prix, donner le Parthénon à l’Hellade revenait à la rendre éternelle, la preuve en était, que lui-même se trouvait devant une telle splendeur des millénaires après sa fondation.  Malgré des dimensions gigantesques (70 mètres de longueur, 40 mètres de largeur et 30 mètres de hauteur) qui ne peuvent qu’impressionner, symbolisant la puissance d’Athènes, ses proportions et sa forme rectangulaire symétrique dégagent une impression sublime et d’élégance. A l’intérieur de l’édifice, Baccalarius trouva deux vestibules et le naos, salle centrale qui accueille la statue de la déesse de 12 mètres,  chryséléphantine (c’est-à- dire de bois et couverte d’or et d’ivoire). Derrière elle et sur les côtés, des colonnes doriques soutiennent le toit et lui offrent l'écrin d'un baldaquin. Devant elle, un large bassin rempli d'eau devait  joue plusieurs rôles : il sert à maintenir un degré suffisant d'humidité dans la pièce (pour conserver l'ivoire) et il doit aussi refléter la lumière extérieure afin d’ illuminer l'œuvre.


 Scène impressionnante, il se disait que Phidias avait voulu représenter la déesse sous son « véritable» aspect, dans toute sa majesté, sa beauté, sa magnificence voire dans sa taille réelle, puisque les dieux étaient considérés comme proportionnellement beaucoup plus grands que les humains, et puis n’était-elle pas l'enfant privilégiée du grand maître du monde et sa mère, la plus sage de toutes les filles des hommes et des Dieux? Les détails de la statue commencèrent à attirer son attention, en effet Baccalarius remarqua tout d’abord le manque d’expression des traits du visage de la statue qui était lui aussi en ivoire, ce devait être certainement alors la règle esthétique de l’époque, seule sa bouche semblait entrouverte, symbolisant sans doute le souffle de vie, quant à ses yeux, il pensait qu’elle portait magnifiquement bien son surnom de "la déesse aux yeux pers" grâce aux pierres précieuses placées à la place des yeux.  Son attention fut ensuite attirée par  le casque qui la coiffe portant en son milieu la figure du sphinx, entourée de chaque côté de Griffons qui se font pendant l’un à l’autre, ils ont le corps élancé d’un lion et la tête d’un aigle. Chacun d’eux portait, comme le sphinx, une aigrette  de longues mèches de cheveux s'en échappaient et descendaient jusque sur l'égide.  Le tout ne pouvait qu’impressionner, notamment sa tunique descendant jusqu’aux pieds, et surtout la tête de méduse en ivoire sur sa poitrine. Le bras droit tendu en avant soutenait une petite Victoire ailée, (c’est-à-dire une statue représentant une femme ailée et symbolisant la victoire) posée obliquement et semblant voler au-devant de la déesse, elle tenait une couronne de lauriers en or, qu'elle devait s'apprêter à placer sur la tête de la déesse. Dans l’autre main, Athéna tenait une lance. A ses pieds se trouvait un bouclier. Baccalarius avait l’impression que la ceinture de la déesse formée de deux serpents noués, bougeait , mais se persuadait que ce devait n’être que son imagination.  Athéna devait-être coquette se disait-il car elle portait aussi des bijoux : un pendentif à chaque oreille, des bracelets en forme de serpent à chaque poignet et biceps et un collier. Tout semblait immuable, et inamovible mais paradoxalement vivant  la fois.


Pourtant une étrange sensation de vie semblait ressortir de la statue, tout se passa comme si quelque chose en elle bougeait. Baccalarius s’approcha, intrigué par cette impression et fut surpris de voir que la Victoire dans la main d’Athéna s’anima, ses ailes frémissaient petit à petit et tout d’un coup se mit à virevolter. Il ne put s’empêcher de pousser un cri, et plus la statuette s’animait, plus le cri se faisait strident, c’est ainsi que toute la faune qui ornait la statue se mit à vivre. Le sphinx déploya ses ailes et étendit sa queue, les griffons s’étiraient et les serpents de la chevelure de Méduse, ceux de sa ceinture se mirent à s’entrelacer et le serpent sacré d’Athéna sous le bouclier se mit à ramper.



La victoire ailée — « N’aie pas peur mon garçon 
Baccalarius effaré, se frottant les yeux et les oreilles —« Qui êtes-vous donc ? C’est mon imagination qui vous anime ! dites-moi que c’est mon imagination ! »

Le Sphynx sur le casque —  non ce n’est pas ton imagination, nous existons bel et bien, enfin nous sortons de notre torpeur qu’à certaines grandes occasions, et ce jour en est une ! Nous sommes les attributs d’Athéna, nous représentons des qualités chez elle, ou des souvenirs de sa vie glorieuse 

Baccalarius resta silencieux un long moment, trop sidéré pour parler puis se remit à questionner      —   Je ne comprends vraiment pas tout ça, qu’est-ce qui vous anime ? Pourquoi vous éveiller maintenant alors que je suis devant vous ? Quelles sont ces grandes occasions durant lesquelles vous reprenez vie ? 

La Chouette  — Nous savons que Diogène Laërce t’a expliqué en quoi consiste la philosophie et la quête intérieure qu’elle exige. Si tu es entré dans le tableau, c’est que ton professeur de philosophie pense que tu en es capable, ne rentre pas qui veut dans l’école d’Athènes et sa colonie des écoles de pensée.  Il nous reste à confirmer  l’intuition de ton professeur, nous ne pouvons nous  tromper de héros, il faudra que tu sois à la hauteur pour une quête ô combien plus grande qui te dépasse, nous te l’expliquerons si tu réponds à la question posée par le sphinx, alors seulement, si tu réponds justement, nous saurons que tu es le Sage que nous recherchons, et tu devras assumer et assurer l’autre quête, tu ressortiras de ces murs et tu seras invité au grand banquet prévu pour l’occasion ; tu auras cette couronne de laurier que tient Niké Victoire ailée et tu choisiras un des deux Griffons pour t’accompagner dans ton aventure ; en revanche si tu ne réponds pas bien à la question posée, alors tu devras retourner dans ton monde, tu oublieras ce que tu as vu et entendu ici, et tu poursuivras ta vie de lycéen médiocre, comme s’il ne s’était jamais rien passé, mais avec cette impression étrange en toi que tu aurais pu mieux faire durant toute ta scolarité. Je laisse la parole au Sphinx, comme tu le sais, spécialiste des énigmes et des questions difficiles 

Les serpents en chœur — il n’y arrivera passssssss, il n’y arrivera passssssss 

Le Sphinx, qui désirait paraître amical, en tout cas pour le moment. Les énigmes étaient tout ce qui se présentaient à son esprit — Voici l’énigme, écoute la bien et réfléchis, tu n’as le droit qu’à une seule réponse, la première mauvaise réponse t’expédiera directement dans ton monde, sans aucun espoir de revenir.
Comment faire 4 triangles équilatéraux avec 6 bâtonnets identiques ?
Bien sûr, nul besoin de préciser qu’on ne peut pas les casser ou les plier et les triangles ne doivent pas se chevaucher...

Baccalarius — Oh non des maths ! Je n’ai jamais aimé les maths !

La Chouette — Au lieu de te plaindre et de croire que tu n’y arriveras pas, concentre toi et repense à tout ce que t’a dit Diogène ! La solution est en toi 

Perdu, ne pouvant ni continuer ni retourner en arrière, Baccalarius se mit à réfléchir…

Baccalarius — Puis-je au moins avoir les 6 bâtonnets ou faut-il que je le fasse dans ma tête ? 

Les serpents en choeur—  il n’y arrivera passssssss, il n’y arrivera passssssss 

La chouette — Ne te laisse pas déconcentrer par les serpents, prends les bâtonnets à côté-là et essaie de faire des figures, à la fin il te faudra nous en donner une 

Baccalarius s’essaya et hésita à moultes reprises, il eut d’abord l’idée d’appliquer ces bâtonnets en deux dimensions, mais remarqua que certains s’entrecoupaient et que les triangles n’étaient pas forcément équilatéraux. Puis lui vint l’idée de faire un 4 avec trois bâtonnets, et avec les trois qui restent il créa un triangle équilatéral! Mais il ne voyait pas le lien avec ce que Diogène lui avait dit en lien avec la philosophie, si ce n’est d’être original ou abstrait.

Les serpents en choeur— il n’y arrivera passssssss, il n’y arrivera passssssss 

Il hésita longuement, essaya plusieurs figures tout en se rappelant les paroles de Diogène « : » il te faudra te souvenir de ces "savoirs imprévus" auxquels la philosophie donne accès. Cette pensée te sera d'une aide précieuse », il ne voyait pas le rapport entre la philosophie et cet exercice de géométrie. Il avait beau chercher, il ne voyait pas….
.
Baccalarius — Imprévus, savoirs imprévus …. Voyons voir…. Cela signifie que la philosophie propose des réponses qui sortent de l’ordinaire, du convenu….elle nous montre d’autres réponses que celles couramment admises… il faut donc que je cherche la réponse ailleurs…. 4 triangles…..équilatéraux … pas de chevauchements……

Au bout d'un moment le sphinx, le sphinx montra quelques impatiences 

Le sphinx — Alors quelle est la figure? J'attends! demanda t-il.

Les serpents en choeur—— il n’y arrivera passssssss, il n’y arrivera passssssss 


Soudain, il eut une intuition… une pyramide à base triangulaire! Euréka !  il avait bien 4 triangles équilatéraux et cette réponse sortait des savoirs prévisibles… mais était-ce celle que le Sphinx voulait ?


Baccalarius — ô Sphinx, voici ma réponse.....


Le Sphinx — Maintenant que tu as ressenti ce qu’est la philosophie, tu peux faire de la philosophie. Cet exercice ô combien abstrait impliquait que tu cherches la réponse ailleurs que dans l’espace à deux dimensions, celui où vit l’opinion commune. Tu as su aller chercher ailleurs, dans l’espace à 3 dimensions, la réponse la mieux adaptée. Ce petit exercice est un test d’entrée permettant à la colonie des écoles de pensée de distinguer ceux qui sont susceptibles d’être éveillés et ceux qui ne pourront jamais l’être ou du moins difficilement. Tu as prouvé que tu étais capable de t’éveiller à un monde plus vaste, tu viens de t’apercevoir que le monde comprend bien plus de dimensions que tu le pensais. Victoire va t’apporter ta couronne de laurier et tu peux choisir un Griffon pour t’accompagner dans cette quête périlleuse. 

Baccalarius était touché et ému, c’était la première fois qu’il remportait un prix, et compte tenu des propos du Sphinx, le prix semblait avoir de l’importance. Restait à connaître la quête qu’il aurait à accomplir, cela ne pouvait que l’inquiéter….à juste droit.
Les serpents se figèrent à nouveau, Niké la Victoire ailée lui remis sa couronne de laurier en félicitant Baccalarius et se reposa dans la main de la déesse pour mieux s’éteindre. Notre héros devait choisir un des deux griffons et lorsque ce fut fait, celui qui ne fut pas choisi se figea à son tour.



 Tout s’éteignit chez Athéna. Les monstres sur elle, sphinx, griffons, chevaux ailés, serpents et gorgones qui symbolisaient ces forces primitives que la déesse a domestiquées, retournèrent à leur sommeil d’ivoire et d’or.  Seule la chouette resta animée.


La chouette — Maintenant que tu as ressenti un coup philosophique dans la tête, c'est que tu peux faire de la philosophie. Cet éveil à un monde plus vaste annonce toujours l'aptitude à apprendre la vraie philosophie. Tu as vu que le monde comprenait plus de dimensions que tu le pensais. Il va te falloir maintenant apprendre à les modeler selon tes désirs mais cela devra se faire progressivement. Tu as brillamment réussi ce test, je t'invite maintenant à rejoindre ton guide Diogène pour la suite de ta quête, tu seras épaulé par ton Griffon et par moi-même, il est fort probable que tu auras besoin de mon savoir ou de mes conseils avisés.

Baccalarius fut ravi de cette décision et intrigué par la quête qui l'attendait, sortit du Parthénon pour aller rejoindre Diogène qui l'attendait depuis trois bonnes heures maintenant.



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