Philoland est un pays auquel on accède en philosophant ou en pensant, théoriquement accessible à tous. Sa géographie ressemble à celle de nos pensées. Il s’agit donc d’un pays aux mille visages, qui se modifie pour satisfaire les réflexions et les rêves de chacun.

De la découverte de la chouette d'or...

La querelle entre les fils de Mérops et les Ioniens ne cessera pas
Avant que la Chouette d’or qu’Hélène jeta dans la mer
Vous ne l’expédiez hors de la cité et qu’elle ne parvienne à la maison
D’un homme qui soit le plus sage concernant le présent, le futur et le passé

Oracle de la Pythie, messagère des Dieux, dévouée au culte d'Apollon 


Comme il est raconté dans « vies et doctrines des philosophes illustres", se présentèrent un jour sur le port de l'île de Cos, au petit matin, trois jeunes gens  aisés,  de passage dans l’île provenant de la ville de Milet située un peu plus au nord, sur le continent. Une embarcation s’apprête à quitter le port.

UN DES JEUNES GENS : - C’est le départ ?
UN MARIN SUR L'EMBARCATION: - Oui, jeunes gens. On est bien matinal dans la jeunesse de la ville aujourd’hui !
LE JEUNE HOMME  : - Oui, c’est que nous voudrions passer un accord avec vous.
LE MARIN  : - Un accord ? Alors il faut traiter avec le Patron.
LE PATRON DU NAVIRE : - Qu’est-ce qu’ils veulent, les jeunes ?
LE MARIN : - Passer un accord avec nous, qu’ils ont dit.
LE PATRON : - Et un accord sur quoi ?
LE JEUNE HOMME : - Voilà ; vous partez à la pêche ; elle sera peut-être bonne, peut-être très mauvaise. On ne sait pas.
LE PATRON : - Eh non, on ne sait pas ! C’est le métier qui veut ça !
LE JEUNE HOMME : - Eh bien nous, nous vous proposons de prendre un risque pour vous : nous avons là une petite quantité d’or (il montre une bourse). Nous vous la donnerons ce soir, si, en échange, vous nous donnez votre pêche de la journée, bonne ou mauvaise.
LE PATRON : - Et quelle somme proposes-tu pour acheter notre pêche du jour, bonne ou mauvaise ?
LE JEUNE HOMME : - Il y a là quinze bonnes petites pièces d’argent de la ville de Milet. Si ta pêche était très bonne, c’est un prix moyen ; mais si ta pêche est seulement moyenne, c’est un bon prix.
LE PATRON : - En somme, c’est vous qui prenez les risques ?
LE JEUNE HOMME : - Oui ; sauf, bien sûr, si vous faites naufrage.
LE PATRON : - Ah, là, le risque nous est en quelque sorte réservé !
LE JEUNE HOMME (Il lui tend la main) : - Marché conclu ?
LE PATRON : Marché conclu. (Il s topent). Revenez un peu avant le coucher du soleil.

Et un peu avant le coucher du soleil, le navire revint après sa journée de pêche. Les jeunes gens de Milet attendaient sur le port, avec la somme convenue.

UN DES JEUNES : - Alors, Patron, la récolte a-t-elle été bonne ?
LE PATRON : - Très bonne même ! Vous avez beaucoup de poisson ! Qu’allez-vous en faire ?
LE JEUNE : - D’abord en vendre. Puis en manger un peu.
LE PATRON : - Mais nous avons aussi ramené dans les filets quelque chose qui nous a fait regretter d’avoir passé ce marché avec vous.
UN DES JEUNES : - Qu’avez-vous donc ramené ?
LE PATRON : Ceci. (Les pêcheurs montrent la chouette en or, mais tout en montant la garde autour de lui).
LE PREMIER JEUNE : - Une chouette d'or!

LE PATRON : - Oui ; et les pêcheurs qui ont assisté à notre marché conclu ce matin, soutiennent qu’il n’avait pas été question de cette chouette d'or lorsque j’ai passé contrat avec vous !

LE JEUNE : Nous avons acheté « votre pêche », bonne ou mauvaise. Vous auriez pu ne rien prendre aujourd’hui, ou seulement trois petits poissons. Vous auriez touché la même somme d’argent.

UN AUTRE JEUNE : - Nous avons couru le risque et fait confiance aux dieux. Nous vous avons proposé de vous acheter ce que vous ramèneriez aujourd’hui dans vos filets. Il y a eu cette chouette d'or dans vos filets ; cette chouette est à nous !

UN PÊCHEUR : - Pas du tout ! J’étais là quand vous avez passé l’accord, et je me souviens bien que personne d’entre vous n’a parlé d’un tel objet.

UN JEUNE : - Nous n’avons pas dit « la chouette d'or», puisque nous ne la connaissions même pas. Nous avons dit : « Nous vous achetons votre pêche de ce jour ».

LE PÊCHEUR : - Notre pêche, ce sont les poissons. Les voilà. Donnez-nous comme convenu les quinze pièces d’argent et ils sont à vous.

LE JEUNE HOMME : - Je ne donne les quinze pièces que si nous recevons et les poissons et la chouette.

LE PATRON : - La chouette, c’est nous qui l’avons sortie de l’eau. C’est une trouvaille, une chance, un don des dieux ; il ne fait pas du tout partie de notre pêche !

LE JEUNE HOMME : - Ce que vous faites n’est pas juste. Nous porterons l’affaire sur la Place Publique de Milet, pour que cela soit débattu et que la ville dise qui, de vous ou de nous, doit être le légitime détenteur de cet objet ! Nous, nous respectons le contrat passé ce matin avec vous : voici les quinze pièces promises.

LE PATRON (prenant la bourse) : - Voici tous les poissons qui se trouvaient dans nos filets. C’est notre pêche d’aujourd’hui. Nous aussi nous avons respecté notre contrat ! Ce serait bien si, dans pas trop longtemps, vous nous rendiez notre filet.

LE JEUNE HOMME (à l’un des deux autres) : - Va mettre les poissons dans le grand sac tressé. Et ramène le filet à monsieur. (Au patron) Il y aura un procès.

LE PATRON : - C’est entendu. Nous en discuterons, nous, avec ceux qui administrent notre île ! (Il prend le filet que le jeune homme lui ramène).

(Dialogue repris à Jacques Atlan :http://jacques.atlan.pagesperso-orange.fr/Atlan3/Theatre.htm)


L'affaire n'aurait guère intéressé l'histoire ultérieure ni valu plus qu'une note dans les longues annales de cet âge s'il ne s'était pas agi de la célèbre Chouette d'or jetée par dessus bord d'un navire quittant les Cyclades 600 ans plutôt, après la ruine de Troie, alors que les débris de ses murs, de ses temples, de ses palais fumaient encore et que le Roi Priam, son peuple et ses enfants étaient ensevelis, que sa femme et ses filles étaient rendues esclaves des insolents vainqueurs, Hélène et Ménélas réunis et réconciliés, s'en retournèrent gaiement et tranquillement à Lacédémone, elle se plaignant qu'il eût pu la croire infidèle, lui s'excusant d'avoir prêté foi à des apparences trompeuses. Les deux amants voguèrent un peu fâchés que pour si peu de choses, on eut déclenché une guerre. 
Mais en passant à travers les Cyclades, ils furent assaillis par un violent orage, pressentant le moment où leur navire allait se briser sur les écueils de l'île de Cos. Tous deux firent un voeu à Neptune, protecteur des pêcheurs et Dieu des eaux vives. Sur ses pensées, elle lui offrit une chouette d'or qu'elle avait sauvé du pillage de Troie et le lui jeta dans la mer. Aussitôt la mer s'apaisa. 


Cette légende fut racontée lors des grandes plaidoiries de l'Assemblée des habitants de Milet, pendant le grand procès. On se rendit vite compte que les pêcheurs de l’île de Cos avaient un droit pour eux, car ils avaient effectivement fourni tous les poissons ramenés dans leurs filet. Les acheteurs avaient aussi un droit pour eux puisque la chouette d’Or faisait partie de « la pêche du jour », qui avait été achetée, quelle qu’elle soit, qui fut payée au prix convenu. On ne put parvenir à un accord. Alors il fut décidé de recourir à l’arbitrage du Dieu. Il fut convenu qu’une délégation d’habitants de la ville de Milet et une délégation de pêcheurs de l’île de Cos se mirent en route vers l’assez lointain Temple de Delphes afin d’obtenir si possible la réponse du dieu, par l’intermédiaire de la Pythie, cette prophétesse inspirée. 

Au Temple de Delphes. Le grand prêtre. La Pythie. Les deux délégations).

C'est ainsi que fut rapportée la célèbre audition de la Grande Prêtresse.



LE GRAND PRÊTRE : - C’est à vous à présent, habitants de Milet et de Cos. Soumettez le cas que les humains n’ont pu résoudre et priez le dieu qui règne ici, au Nombril du monde, là où jadis les deux grands Aigles envoyés par Zeus et partis des extrémités de l’univers se sont rencontrés, priez le dieu qu’il veuille bien inspirer la prophétesse afin que réponse vous soit donnée.

LE CHEF DE LA DELEGATION DE MILET : - Voici le cas qui nous a été soumis. Ces trois jeunes gens que tu vois ici sont allés trouver le pêcheur que tu vois là-bas. Les jeunes gens ont dit, un matin : nous vous achetons votre pêche d’aujourd’hui. Les pêcheurs ont dit : d’accord. Ils sont partis en mer et revenus avec une bonne quantité de poissons, mais aussi avec une Chouette d’Or. Cet objet, fait-il ou non partie de la pêche convenue ? Faut-il qu’il revienne aux pêcheurs qui l’ont trouvé dans leurs filets, ou bien à ces jeunes gens qui ont acheté et payé aux pêcheurs leur pêche de la journée ? Les poissons, eux, ont été donnés comme convenus. Le dieu pourrait-il nous éclairer et nous dire à qui cette Chouette d’Or doit-elle être donnée?

LA PYTHIE (elle prend une inspiration, comme si elle suffoquait un peu) :
Race de Milet, tu interroges au sujet d’un Trépied.
La querelle entre les fils de Mérops et les Ioniens ne cessera pas
Avant que la chouette d’or qu’Hélène jeta dans la mer
Vous ne l’expédiez hors de la cité et qu’elle ne parvienne à la maison
D’un homme qui soit le plus sage concernant le présent, le futur et le passé

(Un silence. Les hommes de la délégation de Milet et les pêcheurs de l’île de Cos se regardent, incertains).

LE CHE DE LA DELEGATION : - Au plus sage de tous …

LE GRAND PRÊTRE : - A vous maintenant d’interpréter la réponse du dieu. Revenez en votre ville et dites exactement ce que vous avez entendu ici.
Vous pouvez aller, habitants de Milet et de Cos. Et que s’approche à présent le prochain demandeur.



NB: (Les dialogues sont tirés du site de Jacques Atlan, http://jacques.atlan.pagesperso-orange.fr/Atlan3/Theatre.htm, je les ai adaptés à l'objet de l'histoire, non plus un trépied d'or comme le veut l'histoire vraie, mais une Chouette d'or). 

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