Mon cher Simon
Crois-moi, je n’ai jamais souhaité être un
philosophe. Si tu lis ses lignes parce que tu soupçonnes en être un, écoute mon
conseil : referme ce livre immédiatement. Prends pour argent comptant le
mensonge que tes parents t’ont raconté sur ta naissance et tente de mener une
vie normale. Une vie de philosophe c’est
dangereux. C’est angoissant. Et, le plus souvent, ça se termine par une mort
abominable et douloureuse. Si tu es un
adolescent normal qui a ouvert ce livre
en pensant qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, parfait. Poursuis ta lecture. Je t’envie de pouvoir croire que rien de toute cette
histoire n’est jamais arrivé.
Mais si tu te reconnais dans ces pages-si tu
sens quelque chose remuer en toi, arrête de lire tout de suite, il se pourrait que tu sois l’un des nôtres.
Or dès l’instant où tu le sauras, il ne leur faudra pas longtemps pour te
percevoir et se lancer à tes trousses.
Je
m’appelle Baccalarius, j’écris sur ce grimoire vierge, bientôt
recouvert d’encre par la plume que je tiens à la main, qui pourrait bouleverser
l’humanité.
En cet instant, mon secret est seulement
contenu dans mon esprit, je suis vieux maintenant, je ne suis plus le lycéen
que j’étais, en l’écrivant, je m’apprête à le divulguer. Les philosophes m’ont
confié cette lourde tâche, je vais essayer de m’en acquitter avec honneur.
Tout commença il y a fort longtemps dans la
lointaine Mayenne. Là était le lycée Sonbocdo, où j’étais pensionnaire, une école qui est bien plus que ce qu’elle
paraît. Les gens parlent de Sonbocdo
comme on chuchote un secret bien que ses cours étaient connus à des lieues à la
ronde regorgeant du savoir de ses professeurs illustres, lycée paisible et
prospère.
Ce lycée fut renommé aussi pour les sorties
scolaires organisées: Cordoue, Barcelone, Rome….autant de voyages scolaires qui vous font et défont à la fois.
C’est ainsi que je participais au voyage en
Italie par une très belle journée d’été. Quand nous atteignons l’une des salles des palais pontificaux du
Vatican, nous nous rendons compte que beaucoup de gens ont eu la même idée que
nous. Nous flânons à travers les couloirs, chambres et antichambres menant à
l’angle sud-ouest du palais, lieu où se situe la fameuse chapelle Sixtine.
Juste avant d’y parvenir, la Chambre de la
Signature est le passage obligé pour y accéder, cette pièce renferme les plus célèbres fresques de
Raphaël, marquant l’épanouissement de sa carrière au Vatican et l’éclat de la
Renaissance. Le tribunal, présidé par le pape, se réunissait dans cette salle
vers la moitié du XVIe siècle. C’était, au départ, le cabinet du travail et la
bibliothèque de Jules II (pape de 1503 à 1513) et le programme iconographique
des fresques, exécutées entre 1508 et 1511) est lié à cette fonction.
Il fut
certainement établi par un théologien et se propose de représenter les trois plus hautes catégories de l’esprit humain : le
Vrai, le Bien et le Beau. Le Vrai surnaturel est illustré par la Dispute du
Très Saint Sacrement (ou la théologie),
le vrai rationnel par l’Ecole d’Athènes
(ou la philosophie) ;
le Bien est représenté par les Vertus Cardinales et
Théologales
et par la Loi tandis que le Beau est représenté par le Parnasse
avec Apollon et les Muses
Nous apprenons par une guide ô combien
charmante et cultivée que c’est le pape Jules II, passionné par le décor peint
qui confia à Bramante le dessin du dôme de la basilique Saint-Pierre, et à
Michel-Ange le fameux plafond de la
chapelle. Sa sainteté embaucha un jeune inconnu alors âgé de 27 ans, pour
réaliser une série de fresques sur les murs de sa bibliothèque personnelle,
dans le palais du Vatican. Elles
devaient évoquer les disciplines présentes dans la bibliothèque,
autrement dit : la théologie, le droit, la poésie, et la philosophie.
Notre guide nous explique que dans la dernière
fresque, très célèbre, l’école d’Athènes, Raphaël a figuré un groupe de
philosophes de l’antiquité venant de Grèce, mais aussi de Rome, de Perse et du
Moyen-Orient ; ils sont en grande conversation.
Alors que le groupe auquel j’appartenais
avançait dans la visite du musée, je restais cloué sur place, je ne parvenais
pas à me décider de le rejoindre. Quelque chose me retenait, mais je ne savais
pas quoi. Des salles avoisinantes continuaient à me parvenir des bruits de pas,
de voix et de flash d’appareils photo. Je pris conscience du fait que je
n’avais pas cessé un seul instant de fixer ce tableau. Je me rendis vite compte
que je ne pouvais pas en détourner le regard, c’était comme si de ce tableau
gigantesque (4m40 sur 7m70) émanait une sorte de force magnétique qui
m’attirait irrésistiblement. Je me demandais comment Raphaël avait pu faire
pour que le tableau parvienne à contenir tous ces personnages tout en ayant une
composition très claire, très lisible, comme si il avait du calculer chaque
geste, chaque posture, mais aussi penser l’architecture à la mode antique
extrêmement bien représentée. Le tableau respire l’intelligence, non seulement
par l’ensemble du savoir antique rassemblé ici, mais aussi par sa composition
géométrique absolument savante, en effet, notre guide nous a montré le point de
fuite qui tombe à la jonction de Platon
et d’Aristote, ainsi que la ligne d’horizon le coupant également.
Alors que la vaste pièce était remplie d’un
brouhaha de voix assourdies, je m’interrogeais : qu’est-ce que cela ferait
d’étudier à l’Ecole d’Athènes, d’écouter ces merveilleux professeurs et de
m’entretenir avec eux ?
Soudain,
je sentis émaner de ce tableau une force d’une douceur indescriptible, réconfortante
qui me comblait totalement, je restais hypnotisé par la lumière que dégageait
le tableau. Je baignais ainsi dans une lumière chaude, veloutée, dans laquelle je
me sentais à l’abri et apaisé. Soudain, je me rendis compte que je n’avais plus
conscience du poids de mon corps
Je me rendis compte que le tableau vibrait,
émettait des émotions…il est difficile de décrire ce qui se produisit à ce
moment précis, les mots me manquent pour décrire cette sensation, tout dans le
tableau, les couleurs, les formes, le mouvement des lignes, les expressions des
visages, les postures et les corps exprimaient un souffle créateur. C’est à ce moment-là un jet de lumière m’éblouir
et je me sentis dégringoler à une vitesse stupéfiante dans une sorte d’abîme.
La guide continuait à discourir et les
visiteurs tout autour à chuchoter en l’écoutant, mais je sentis que je n’avais plus la curiosité de l’écouter. C’est
à ce moment-là qu’un jet de lumière m’éblouit et je me sentis dégringoler à une
vitesse stupéfiante dans une sorte d’abîme.
Je m’aperçus que je n’avais plus besoin de ses
commentaires, j’en savais beaucoup plus qu’elle ne pourrait m’en dire, puisque
nous n’étions plus à la même distance du tableau. Je m’en suis approché
soudain, tandis que les visiteurs en semblaient éloignés à des kilomètres. Voilà
que j’entendais leurs voix comme un bourdonnement derrière une vitre. Je me
rendis compte que nous habitions désormais deux univers différents. Je suis de l’autre côté du tableau..
A demi assommé, je m’asseyais et secouais la
tête pour recouvrer quelque peu mes esprits. J’inspirais profondément pour m’éclaircir
les idées mais cela ne faisait qu’aggraver mon malaise. C’est alors que je
remarquai que le cadre où je me trouvais était surprenant, au cœur d’un décor
urbain, dont on ne sait s’il s’agit d’un temple, d’une place publique ou des
arcades d’une cité idéale, il était parsemé de bâtiments dont l’architecture rappelait la Grèce
Antique avec ses colonnes de marbres blancs. Décor au milieu duquel je pouvais
voir des hommes en toges au magnifique drapé….semblant provenir de Rome, de
Perse et du Moyen-Orient, avec l’inscription : » Colonie des écoles de
pensée ». Visiblement, ils sont en grande conversation.
Voici la retranscription de ma première rencontre avec un homme d'un autre lieu et d'une autre époque.....
Ah jeune
homme, vous voilà enfin revenu à vous ! Comment vous-sentez-vous ?
—
Surpris, un
homme appuyé sur une colonne grecque semblait s’adresser à moi.
— "N’ayez pas peur, je me présente, mon nom est Diogène Laërce, directeur de la colonie des écoles de pensée
—
Eh bien….enchanté, votre nom ne m’est pas inconnu…sans doute
l’ai-je entendu dans un cours…. Mais je ne saurais dire lequel. Où
sommes-nous monsieur ?
—
ah…flatté
que l’on parle encore de moi dans votre monde ! pourtant cela fait
longtemps…. Allez je me présente, cela vous éclairera sur votre
situation : je suis citoyen de Nicée en Bithynie, poète, je m’intéresse à
la philosophie à mon temps perdu, j’y prends un certain plaisir par goût pour
l’érudition ; sans doute parle-t-on de moi dans votre monde parce que j’ai
rassemblé toute la documentation possible sur les grands noms de la philosophie
grecque. J’ai aimé dire tout ce que je savais de ces philosophes, sur lesquels
j’avais écrit des épigrammes dans Pammétros, puis plus tard,
particulièrement sensible de la renommée des philosophes, j’écrivis « Vies
et doctrines des philosophes illustres », ouvrage pour lequel ma
connaissance des écoles philosophiques et de la vie de leurs fondateurs, m’a
valu d’être nommé scholarque du plus grand centre
de formation pour les jeunes philosophes.
—
C’est donc
dans le cours de philosophie que j’ai entendu parler de vous !
mon professeur de philosophie nous avait dit que vous étiez en quelque sorte le concierge de
l’antiquité car vous adoriez les anecdotes avec une curiosité insatiable
pour tous les détails biographiques, notamment ceux concernant la mort des
philosophes, cela me revient maintenant. En revanche, vous n’avez pas répondu à
ma question, quel est cet endroit ? Qu’est-ce que je fais là ?
—
je
vous l’ai dit, vous êtes à la colonie
des écoles de pensée,
le plus vaste centre de formation pour les jeunes philosophes. C'est un grand espace
magnifique de plusieurs kilomètres dans lesquels de nombreuses pensées sont
disponibles.
—
Comment
suis-je venu ici ? j’étais devant le tableau de Raphael, et soudain je me
suis retrouvé ici…mais d’ailleurs ce décor….ces gens tout autour….non ?
impossible ! Je suis enfermé dans le tableau ? Que tout est
donc confus ! je dois être en train de rêver, oui c’est la seule
explication et je suis en train de me rendre compte que je rêve !
—
Vous ne
rêvez pas jeune homme, vous êtes dans le tableau de l’école d’Athènes, portail
d’entrée de la « colonie des écoles de pensée »
—
Non, vous n’existez pas ! rien de tout cela n’existe !
je me souviens d’un cours de philosophie qui m’avait un peu perturbé sur la confusion
rêve et réalité ! je suis tout bonnement en train de vivre cette
situation, après tout « j’ignore si je ne rêve pas quand je vis, ni si je
ne vis pas quand je rêve, ni si le rêve et la vie ne sont pas en moi des choses
mêlées […] je ne sais plus si j’existe, si ça se trouve, je pourrais être
le rêve de quelqu’un d’autre»[1]
—
Allons jeune homme ! croyez-moi, vous ne rêvez pas !
vous êtes bel et bien dans un autre lieu, à une autre époque ! le tableau
vous a happé, en fait il faut savoir que ce
que tout le monde croit être un tableau de Raphael, se révèle être l’entrée de
la colonie, une sorte de hall des héros, un lieu voué à la discussion et
à la réflexion, à la sagesse. Voyez
cette plaque, que l’on ne peut apercevoir qu’en étant à l’intérieur du tableau,
ce qui est votre cas : » Dédié aux Philosophes, à ceux qui
risquent leur vie pour préserver l’avenir ».
—
Impressionnant !
mais lorsque je regarde ces philosophes de plus près, ils ont l’air irréels,
serait-ce là une hallucination, un sortilège ? bien que les voyant
en train de discuter, la pièce est étrangement silencieuse !
—
L’explication
est simple, ce que vous voyez ici ne sont que des hologrammes lumineux, telles
des sentinelles
vigilantes dressées contre les ténèbres du monde. Ils rappellent à ceux qui
viennent ici, dont vous faites partie, qu’ils n’ont pas été choisis pour
s’amuser, mais pour participer activement à une lutte qui peut leur coûter la
vie.
—
Une lutte
qui peut leur coûter la vie ? tant que ça ? mais…si je suis rentré
dans le tableau, devrais-je moi aussi participer à cette lutte ?
—
Sans aucun
doute, rares sont ceux qui ont ce privilège. Vos parents vous ont envoyé à
Sonbocdo pour vous remplir la tête, mais pour parfaire ton apprentissage de la
vie ton professeur de philosophie t’a confié à moi, enfin plus exactement à la
colonie des écoles de pensée.
—
« Parfaire
mon apprentissage de la vie » ?!, vous y allez un peu fort Monsieur
Diogène !
—
Je ne pense
pas ! si votre professeur de philosophie vous envoie ici, ce n’est
pas un hasard, lui-même ayant été initié aux mystères de la philosophie. On m’a
transmis ton dossier scolaire, tes professeurs dans l’ensemble ont l’air d’être
mécontents de ton travail, du côté de tes émotions, c’est une
catastrophe ! Stress, attaques de panique, sautes d’humeur, période de
dépression….vous semblez souffrir d’incontinence émotionnelle, n’est-ce
pas ?
—
A vrai
dire…je ne sais que dire ! Mes professeurs ne me comprennent pas, me
parlent d’échec scolaire si je poursuis dans cette voie là…. Vous avez devant
vous un adolescent à la mer qui regarde le navire d’où il est tombé poursuivre
sa route, telle est mon impression, c’est comme cela que je ressens les choses.
Vous pouvez me tutoyer monsieur Diogène, cela ne me gêne aucunement.
Personne
ne pouvait mieux que Simon comprendre ce que cela signifiait. Il se réjouissait
d’avoir de cette façon quelque chose de commun avec Baccalarius.
—
Très bien. J’entends bien ce que vous, enfin, tu me dis là,
c’est la raison pour laquelle tu es ici, nous allons essayer d’être le canot de
sauvetage du navire qui t’a laissé en mer. J’ai parlé d’apprentissage de la vie
car en fait, c’est ce que semblent avoir oublié vos écoles.
—
Qu’est-ce à
dire ? je ne comprends pas !
—
Je
m’explique : vos cursus en littérature, histoire, mathématiques,
sciences diverses vous remplissent bien la tête, à n’en point douter. Vous
étudiez de grandes œuvres, reproduisez des expériences en laboratoire, des
raisonnements en mathématiques etc… mais en quoi cela vous apprend-t-il à gérer
vos émotions ? vous forger des convictions politiques, spirituelles,
religieuses ? en quoi cela vous aide-t-il à comprendre le sens de la vie,
à tenter de donner un sens à votre vie ? tu as traversé ta vie en pensant que
le monde est ordonné et rationnel, que la science peut tout expliquer.
Tout le monde y croit. Sinon, tu es fou, psychotique ou philosophe. Le
problème, c'est que le monde est comme ça parce que les gens adhèrent. C'est
simple, ordonné et tout peut s'expliquer. Tout le monde mange vite, a un
travail ennuyeux et se désintéresse des réponses que peuvent apporter les
philosophes. Les gens ont toujours préféré les solutions aux réponses.
—
Je crois
que je comprends ce que vous voulez dire. En fait, vous insinuez que les écoles,
les universités et autres instituts de formation devraient proposer un soutien
à leurs élèves, pas seulement dans leur carrière, mais aussi dans leur
vie ? par contre pour la distinction entre réponse et solution, je ne vois
pas très bien.
—
Tu as presque
tout compris jeune homme ! C’est exactement ce que faisaient les
professeurs que tu vois autour de toi ! ces hommes en toge que tu vois
dans l’exercice de leur art, enseignaient à leurs disciples comment gérer leurs
émotions, faire face à l’adversité et vivre au mieux. Telle est l’antique
et haute fonction consolatrice de la philosophie, fonction, hélas, recouverte
par des siècles d’enseignement et d’érudition aussi abscons que stériles. Je le
répète, apaiser les craintes et les soucis des hommes, leur donner les moyens
de faire face à l’adversité, renforcer leurs défenses naturelles que
représentent leurs âmes : tels furent pendant près d’un millénaire
quelques-uns des objectifs concrets et profitables de la philosophie.
S'agissant de la distinction entre solution et réponse, on peut dire que la
solution annule le problème, par exemple une fois que tu as trouvé que 2+2 = 4,
4 annule le problème, alors que pour l'existence de Dieu, ou sa non-existence
d'ailleurs, pour savoir comment bien agir dans la vie, pour atteindre le
bonheur...l'humanité n'offre que des réponses, les réponses n'annulent pas le
problème, bien au contraire, elles l'entretiennent. La philosophie offre
souvent l'image d'un champ de bataille, puisque les philosophes et leurs
réponses se succèdent sans jamais annihiler le problème. Nous discutons
toujours des règles du bonheur, de l'existence de Dieu, de la justice, de la
beauté, etc...
—
Je vois,
c'est pour cela que notre société adore les mathématiques. En revanche je ne
suis pas trop d'accord avec ce que vous venez de dire de la philosophie.
Pardonnez-moi de vous offenser, mais pour beaucoup de personnes, dont moi, la
philo c’est avant tout de la théorie, c’est difficilement compréhensible,
éloigné du monde et de la réalité. C’est comment dire ?... biscornu. J’admets
que de temps en temps, un cours peut être intéressant, pour la simple et bonne
raison que chacun est à sa manière un peu philosophe dès lors qu’il se penche
sur sa propre vie. Si l’on admet que les gens qui s’occupent de philosophie
sont comme les autres, que font-ils de si particulier ? Si tout le monde a
des idées, tout le monde pense ! chacun forge des raisonnements, réfléchit
sur son propre sort, s’interroge et tente d’examiner la nature humaine. Faut-il
en conclure que tout le monde est philosophe ? Que tout le monde fait de
la philo sans le savoir ?
—
Je te
l’accorde mon garçon, c’est une chose de réfléchir à une théorie et de la
comprendre, c’en est une autre de se l’approprier par la pratique et
l’exercice. Il ne te suffit pas d’avoir lu ce qu’en pensent les philosophes
pour savoir ce que sont la maîtrise de soi, la paix intérieure et la joie
d’être soi-même. En gros, tu me demande de préciser ce qui distingue de façon
singulière les philosophes …les rencontres au cours de ton aventure
devraient répondre à ta question, qui est celle que tout le monde se pose. On
sait à quoi servent un boulanger, un médecin, un pompier, on les juge en
fonction de leur efficacité, de leur utilité au sein de la communauté, mais le
philosophe doit toujours répondre à l’éternelle question : » à quoi
servez-vous ? quelle est votre utilité dans la société ? ».
Bref ! il doit justifier son salaire ! Il faut dès lors leur
expliquer que si tout le monde a des idées, les philosophes eux, les examinent.
Certes, tu l’as dit, tout le monde pense, nul besoin d’être philosophe pour
cela, mais les philosophes, eux, reviennent sur ce qu’ils pensent, pour le
mettre à l’épreuve, l’examiner, faire le tri. Telle est la particularité
des philosophes : ils pensent à leurs pensées !
—
En gros ils
sont payés pour réfléchir quoi ?
—
On peut
appeler ce mouvement « réflexivité », le terme n’en signifie pas
moins simplement « retour sur soi », »examen de ce qu’on croit
et de ce qu’on pense ».
—
Enfin, on
ne peut passer sa vie à penser que l’on pense ! à repenser ce que
l’on a déjà pensé! Ne faut-il pas vivre sa vie avant de la penser ?
—
Je vois de
la résistance dans tes propos, il n’est pas rare que les théories
philosophiques complexes provoquent des résistances à la compréhension ;
en cela tu as tout à fait raison. Tu sais les gens normaux ne veulent pas d'un
monde philosophique. Ils veulent un monde sûr où ils n'ont pas à affronter le
péril du dialogue, de l'échange, des idées différentes. Nous les philosophes, nous ouvrons
les yeux sur un monde où nous pouvons faire nos propres lois et choisir de
croire en ce qui nous plaît, le monde qui est en notre pouvoir, c'est notre
esprit, ce sacré édifice mental, qui est impénétrable par les autres, mais
souvent par soi-même aussi.
Force
est de constater que le principal obstacle à la recherche philosophique, c'est
la résistance à bouger intérieurement. Attachés à nos habitudes mentales, nous
sommes en général partisans de ne jamais changer un système qui
fonctionne. Mais malheureusement, pas d’art de vivre sans changement. C’est en
cela que la philosophie est mal aimée de la jeunesse, puisqu’elle met notre
confort mental sens dessus dessous. N’aie crainte : tu rencontreras dans tes aventures des
personnes qui ont su mener leur barque pour bien vivre. Mais rien n'est gratuit
dans ce monde. La philosophie n'est pas une exception. Bien qu'elle apporte le
pouvoir, elle n'est pas toute puissante. Un
apprenti philosophe ne peut réussir que s'il possède la volonté, la croyance et
l'entraînement. Ta quête te
démontrera qu'il peut y avoir du plaisir à s’occuper de soi, cela fait vite
oublier les peurs de changement qu’on éprouve au début.
—
Une quête dites-vous ? mais de quelle quête s’agit-il ?
J’avoue ne pas tout comprendre….
(source d'inspiration pour ce chapitre: Le Voleur de foudre, premier volet de la série Percy Jackson, écrit par Rick Riordan.)
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