Philoland est un pays auquel on accède en philosophant ou en pensant, théoriquement accessible à tous. Sa géographie ressemble à celle de nos pensées. Il s’agit donc d’un pays aux mille visages, qui se modifie pour satisfaire les réflexions et les rêves de chacun.

Chapitre 3 : "Chouette Athènes": premiers pas dans la philosophie

L’entrée dans le tableau demeura une énigme pour Simon, qui ne savait que penser du livre qu’il venait de découvrir et des  chapitres qu’il venait de lire. Ce livre lui était adressé, comment cela était-il seulement possible ? Il n’avait d’ordinaire aucun goût pour les livres de philosophie. « Ses préférences allaient aux livres captivants, ou drôles, où encore ceux qui lui permettent de rêver, des livres où des personnages fictifs vivaient des aventures fabuleuses et qui permettaient d’imaginer tout ce qu’on voulait. »[1]. Ici le livre semblait vouloir l’emmener quelque part, non seulement d’une manière symbolique en lui étant directement adressé, mais au sens propre, Simon s’était rendu compte qu’en caressant la  couverture, cela semblait lui procurer un réel contentement. Etait-ce le récit  ou il ne sait quoi, mais le livre lui donnait l’impression de ressentir les choses.   A ce moment précis, les pages brusquement sans raison s’affolèrent, comme si un souffle venant de nulle part venait les agiter. Simon fut surpris, était-ce là une invitation à reprendre la lecture ? Ce qu’il fit sur le champ.



C’est ainsi que Diogène Laërce m’amena de l’autre  côté de ce « hall des héros », là ou veillent les hologrammes des philosophes illustres. « J’eus alors le souffle coupé, en effet le paysage était parsemé de bâtiments dont l’architecture rappelait la Grèce antique »[2] -agora, kiosque, amphithéâtre, jardins, colonnes, gymnases….- et la fameuse Acropole qui se nimbait des dernières lueurs du jour. Dans ce commencement de crépuscule, le marbre blanc des monuments paraissait flambant neuf. 



Pas une seconde, je ne déviais mon regard de l’éperon rocheux où se dressai le monument dont l’enfilade de colonnes, les frontons et les frises dévoilaient avec une finesse fabuleuse plus de 360 personnages ainsi que 220 animaux.


    Avant de t’expliquer  en quoi consiste cette quête qui t’a amené ici, il te faut préalablement quelques explications du lieu dans lequel tu te trouves, ce lieu , berceau de la civilisation et du génie.

    Que de suspens et de mystère ! je n’ai donc pas d’autre choix que d’attendre….je vous écoute alors….mais dites les choses simplement, car voyez-vous je ne suis pas un génie moi, vous l'avez souligné tout à l'heure.


    « Nous avons là tout le génie athénien » s’amusa Diogène, en voyant mon regard qui ne démordait pas d’une telle beauté, "et d’une certaine manière, la philosophie apparaît sur le fronton oriental du Parthénon car nous avons là la naissance de la grande déesse olympienne aux sages conseils, déesse de la philosophie avec son oiseau la chouette.


    Pourquoi la chouette  est-elle associée à Athéna et à la sagesse ?

    Il ne faut pas aller chercher très loin ; tu dois connaître certaines caractéristiques de cet oiseau, non ?

     Oui enfin comme tout le monde, je ne suis pas spécialiste non plus en ornithologie, toutefois je sais que c’est un rapace nocturne, avec une tête grosse et plate qui pivote sur 270 degrés, ses yeux étant particulièrement remarquables par ses pupilles énormes , je crois que son ouïe est très fine aussi.

    Tu vois que tu connais des choses, il te reste à appliquer ces qualités que tu viens d’énoncer à la philosophie !

    Est-ce à dire que la philosophie est rapace ?

     Non, je ne parlais pas de cette qualité là, mais les autres peuvent s’appliquer à l’état d’esprit philosophique,  j’entends par là que cet oiseau évoque par son immobilité silencieuse la sagesse, par ses mœurs nocturnes et son calme la solitude, souvent celle du misanthrope, et par son cri inquiétant des mauvais présages."

    Je vois, je vois. Solitaire, silencieuse, avec le regard perçant les ténèbres, je comprends mieux pourquoi elle symbolise le savoir. Mais pourquoi l’avoir associée à Athéna ?

    Dans la mythologie grecque, Athéna est la fille de Zeus et de Métis, son attribution est l’intelligence, c’est la déesse de la raison, ayant hérité de sa mère sagesse et ingéniosité, elle devint vite la conseillère des Dieux et des mortels, (elle aida les Dieux à vaincre les géants) elle préside  à la littérature et aux arts, protège les sciences et l’industrie, veille sur la prospérité des cités, tout cela grâce à l’influence heureuse de sa pensée réfléchie et subtile. Elle porte le nom d’Athéna Polias, autrement dit protectrice de la cité, vénérée à Athènes lors des fêtes en son honneur:  les Panathénées. Les temples que tu as devant les yeux sur l’Acropole lui sont consacrés (Parthénon, Erechtéion, Athéna Niké).

    Je comprends mieux pourquoi monsieur Minor associait souvent la philosophie à la vue, allant souvent jusqu'à dire que la philosophie était comme Alain Afflelou, elle offrait la deuxième paire gratuite !

    L’image est intéressante puisque avec la deuxième paire, tu peux regarder la première, on[3] peut comparer la philosophie au fait d’observer ses propres lunettes. Qu’est-ce que cela veut dire d'après toi?

     A vrai dire, je ne sais pas:

— Allez je t’aide un peu, si on considère que la première paire représente les croyances, les idées, les concepts à travers lesquels nous voyons, nous comprenons le monde, que peut bien représenter la deuxième paire gratuite qu’offre la philosophie ?

Je dirai qu’observer ses propres lunettes signifie donc prendre une certaine distance, du recul par rapport à nos propres croyances, à nos propres idées.

      — Bien, et quand est-ce que nous observons nos lunettes ?

— eh bien .....voyons voir......ah oui, lorsque nous commençons à voir de plus en plus mal et qu’il faut les nettoyer  pardi!

— Parfait jeune homme. De même, il faut aussi parfois nettoyer nos croyances et nos idées, c’est-à-dire supprimer tout ce qui relève des préjugés, idées reçues, lieux communs, sottises, sornettes, balivernes, etc. Faire de la philosophie, adopter la chouette comme symbole, s’offrir la deuxième paire, c’est en définitive examiner de manière critique ses croyances, ses idées, ses concepts afin de se libérer de la bêtise, de l’emprise des préjugés.

— Quelle ambition!  la philosophie et ses représentants ne seraient-ils pas un peu prétentieux? Finalement on peut lui attribuer aussi le  côté rapace de la chouette, si on considère qu’elle se nourrit essentiellement des préjugés et les saisis de ses  griffes recourbées.

— Je suis d’accord avec toi, si il est courant d’entendre dire que la philosophie est une réflexion qui permet de comprendre le monde, il s’agit en fait d’une erreur, la philosophie étant non pas une réflexion sur le monde mais une réflexion sur cette réflexion, ce qui n’est pas la même chose. Tu as raison de souligner la violence inscrite même au cœur de cette discipline. Elle invite d’abord à se faire violence à soi, à ses mauvaises habitudes de penser. Certes on peut vivre sans philosophie, on peut vivre dans la banalité sans s’étonner de rien, mais on vit moins bien me semble-t-il! Je n’en suis pas totalement convaincu. La lucidité n’est pas toujours un gage de bonheur, n’est-ce pas ?

— Tout de suite les grands mots ! Sans aller jusqu’au bonheur,  il s’agit de cultiver l’intérêt de vivre en s’étonnant. La philosophie est fille de l’étonnement. Avec elle, la vie prend une véritable dimension.  Les grecs ne disaient pas que l’homme naît libre, conscient et parfaitement rationnel. Ils disaient qu’il est profondément inconscient et qu’il traverse la vie comme un somnambule.

— Un somnambule, carrément !

— Oui autrement dit, les hommes ordinaires, privés de philosophie dorment et agissent à l’état de veille comme en plein sommeil, c’est Héraclite qui le soulignait. Puisqu’on parlait de violence  à l’instant, Socrate lui-même se comparait à un taon piquant la cité afin de la secouer de sa torpeur. La philosophie fait se réveiller, comme il aimait à le souligner. De là l’importance de l’étonnement, c’est lui qui fait de celui qui le pratique un éveillé.

— Ah oui….cela me fait penser à un extrait du film « Matrix » que notre professeur nous a passé en classe, le mot éveillé….j'essaie de me souvenir des mots prononcés par Morpheus."

— Morphée dieu du sommeil ! preuve que la philosophie est un éveil au sens fort, cet éveil étant le produit d’un réveil.

— Le dialogue  me revient : » Je suppose, que pour l’instant, tu te sens un peu comme Alice, tombé dans le terrier du lapin blanc ?  Je le lis dans ton regard. Tu as le regard d’un homme prêt à croire tout ce qu’il voit, parce qu’il s’attend à s’éveiller à tout moment. Et paradoxalement, ce n’est pas tout à fait faux. Crois-tu en la destinée Néo ?
  Néo : Non !
  Morpheus  : Et pourquoi ?
 Néo : Parce que je n’aime pas l’idée de ne pas être aux commandes de ma vie.
  Morpheus : Bien sûr ! Et je suis fait pour te comprendre. Je vais te dire pourquoi tu es là. Tu es là parce que tu as un savoir. Un savoir que tu ne t’expliques pas, mais qui t’habite. Un savoir que tu as ressenti toute ta vie. Tu sais que le monde ne tourne pas rond sans comprendre pourquoi, mais tu le sais. Comme un implant dans ton esprit. De quoi te rendre malade. C’est ce sentiment qui t’a amené jusqu’à moi. Sais-tu exactement de quoi je parle ?.....

 — Ce dialogue résume bien tout ce que l’on a dit, il ajoute l’idée consistant à faire le choix de la philosophie,  il s'agit d'une véritable conversion consistant à apprendre à user de la raison afin de choisir d’autres chemins dans la vie, et à accéder à des savoirs imprévus quand on a conscience qu’il est étonnant de vivre. L'objet de ta quête sera donc d'abord philosophique.

— Heu.... que faut-il entendre exactement par accéder à des savoirs imprévus, j'avoue ne pas trop voir en quoi ça consiste?

— Bon, tu comprendras mieux tout à l'heure quand tu devras répondre à la première énigme qui t'attend, lorsque tu devras réfléchir au problème posé, il te faudra te souvenir de ces "savoirs imprévus" auxquels la philosophie donne accès. Cette pensée te sera d'une aide précieuse.

— Une énigme? rien que ça! je n'ai jamais été très doué en devinettes, la logique n'est pas mon fort. Je crains le pire, enfin nous verrons bien.

   Alors que nous nous promenions dans les allées de ces édifices somptueux. Diogène m’interpella sur ce que je voyais.

— Je te vois impressionné, n’as-tu pas l’habitude d’un tel spectacle ?

— A vrai dire, il y a dans le monde quantité d’édifices en pierre avec des colonnes en marbre mais on n’a pas forcément de plaisir à les regarder. Ici, je suis saisi, non je n’ai pas l’habitude d’une telle splendeur, d’un tel luxe. De nos jours, nos villes ne sont faites que d'édifices en béton moche, qui vieillissent particulièrement mal. Quand je pense à l'âge de ce marbre....et à sa splendeur!



— Peut-être que ce qui rend Athènes belle, c’est sa sagesse qui devient palpable ici grâce à ces édifices en pierre, ces colonnes, ces temples… Les mots, les pensées, les idées trouvent un réceptacle dans la pierre. Ce qui est invisible devient visible. N’oublie jamais cette façade du Parthénon, elle est vivante tout en ayant un air sévère, elle est une garde de veilleurs défendant la porte d’un lieu invisible et sacré : la sagesse.  En parlant de porte,  je t'invite à rejoindre le Parthénon. Tu n'as pas à avoir peur, il s'agit de ton premier exercice philosophique, je te laisse en galante compagnie, tu dois entrer seul  aucun mal ne te sera fait, maintenant que tu sais ce qu'est la philosophie, il te reste à la ressentir dans ta tête. Bonne chance Baccalarius, on se retrouve peut-être à la sortie pour poursuivre une quête bien plus grande que celle qui touche ta petite personne. 

Baccalarius se mit en marche, il ne leva plus les yeux. Il tenait la tête baissée et avançait très lentement, pas à pas, vers l'entrée du Parthénon. Et la peur qui menaçait de le clouer au sol pesait sur lui de plus en plus fort. Pourtant il continua. Il ne savait pas ce qui l'attendait mais il n'avait pas de temps à perdre. Il fallait qu'il coure le risque de savoir s'il obtiendrait le droit d'entrer ou si sa grande quête allait s'achever là. Et juste au moment où il croyait que toute la force de sa volonté ne suffirait pas à lui faire effectuer un seul pas de plus, il leva les yeux pour  regarder le Parthénon en face et au même instant toute peur l'abandonna.  Devant lui, à une distance de vingt pas à peu près, se dressait la porte du Parthénon.








[1] L’histoire sans fin
[2] Percy Jackson
[3] Blackburn



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