Cela ne serait certainement pas arrivé si
Simon Audure ne s’était endormi ce jour-là en classe. En fait, il ne s’était
pas réellement endormi, il avait laissé son esprit divaguer. Son
professeur Mr Minor était en train de parler de philosophie, et plus
particulièrement de la définition de la matière car il s’agissait là, pour les
Terminales, d’une nouvelle discipline. Ledit professeur expliquait que la
meilleure façon d’aborder la philosophie, consistait à poser de prime abord,
quelques questions philosophiques qui constituaient le programme de l’année :
Que-puis-je savoir? Que-dois-je faire ? Que suis-je en droit d’espérer ?
Chacune entraînant des champs de réflexion immenses, comme l’éthique et la
religion, la métaphysique et la pataphysique, l’esthétique,
l’épistémologie, l’ontologie…. autant de mots savants qui firent tourner son
esprit ailleurs, en effet c’est à ce moment précis qu’il cessa d’écouter pour
s’imaginer sur la superbe plage de surf australienne, l’emblématique Bells
Beach, près de Torquay, qui ouvre la voie vers la Surf Coast du Victoria sur la
route Great Ocean Road. Simon avait lu la veille un article dans « Surf
Magazine » indiquant qu’il s’agissait de la plage la plus renommée pour
la qualité du surf, et que chaque année s'y tient le Rip Curl Pro Surf,
anciennement connu sous le nom de Bells Beach Surf Classic. Tel était le rêve
de Simon en classe : participer à une telle compétition.
Soudain, il se rendit compte que Monsieur
Minor le regardait directement. Simon essaya de sortir de son rêve et de prêter
attention à la question posée :
« Monsieur Audure, pouvez me rappeler les deux principaux
objectifs de l'enseignement de la philosophie en classe de Terminales?
—
Heu...c'est
à dire que...heu, la philosophie... ouvre la voie vers la Surf Coast du
Victoria sur la route Great Ocean Road
La
classe éclata de rire
—
Que
dites-vous là jeune homme ?
—
Pardon
monsieur, je n'ai pas écouté, je ne peux pas vous répondre
—
Simon !
vous étiez encore en train de rêver ! n’est-ce pas ?
—
Oui
monsieur »
Monsieur Minor avait un grand sens de
l’humour et il était extrêmement patient. Simon sut qu’il disposait de quelques
instants, pour proposer une autre réponse.
—
« Faites
un effort M’sieur Audure ! Réfléchissez ! je réitère ma
question : rappelez-moi les 2 principaux objectifs de l'enseignement
de la philosophie en classe de terminales ?
—
je sais
Monsieur ! la philosophie apprend à réfléchir !
—
Bien,
en voilà un ! je vous ai aidé, la réponse était dans la
question ! « favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice
réfléchi du jugement » pour le dire dans les mots du texte officiel. Ce qui
signifie que je suis censé contribuer ainsi à former « des esprits
autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en œuvre une
conscience critique du monde contemporain. » Pensez-vous que c’est en rêvassant
que vous pourrez apprendre à mettre en œuvre cette conscience
critique ?
—
non monsieur, je l’admets »
Par chance, la cloche sonna juste à ce
moment, donnant le signal de l’heure du déjeuner. Durant le trajet de la
salle au self, Simon eut encore le sentiment pénible de n’avoir pas été
capable de satisfaire un professeur, de n’avoir pas répondu à une exigence de
base : rester concentré en classe. Il se remémora l’entretien qu’il
eut avec son professeur juste après l’incident ; monsieur Minor était un
homme lourd et trapu, il ne portait pas de costume, mais des jeans avec une chemise
et un pull sans manches, une ceinture tentait bien que mal de maintenir son
ventre, qui parfois l’avait lâché en plein cours ! L’homme était presque
chauve avec un visage bonhomme qui examina Simon qui était planté là devant
lui. Simon avait honte, ne sachant pas trop ce qu’il devait dire, aussi se
contenta-t-il de rester là où il était, regardant l’homme avec des yeux ronds.
—
« Voilà
plusieurs fois que je te surprends, soit à bavarder, et maintenant à te laisser
aller à la rêverie ! Je me demande parfois ce que tu fais en
classe !
—
Il
m’arrive de me le demander aussi, M’sieur
—
Je te
dis ça simplement pour que tu saches où tu te trouves. Dès lors que tu entres
en classe, tu dois être opérationnel et donc être en mesure de répondre aux
questions d’un professeur, comme je l’ai dit tout à l’heure, contrairement à
une idée très répandue, faire de la philosophie, ce n’est pas raconter ce qui
nous passe par la tête. Il faut absolument apprendre ton cours, et connaître
les références philosophiques ! ce n’est pas en bavardant et en rêvant que
tu y parviendras ! Si tu aimes bavarder, parle à ton professeur du
cours ! si tu aimes rêver, rêve que tu rencontres Pythagore à
Crotone ! Thalès à Millet, Socrate à Athènes ! etc…
— J’ai compris Monsieur, je vais essayer », dit-il en regardant
le sol carrelé qui déclinait la lumière en un clair-obscur digne d’un tableau
de Rembrandt, jouant avec les reflets des débris de papier et de plastique
laissés par les élèves pendant le cours.
—
Pense à
ce que je te dis Simon ! il y va peut-être de ta réussite scolaire!
—
Au
revoir, monsieur "
Simon repensa à cet entretien.
« Perturbé ou en pleine crise d’adolescence ? » devait se
demander son professeur à propos de lui. Il voyait les appréciations de ses
bulletins défiler devant lui : « peut mieux faire, arrêtez les
bavardages, doit faire ses preuves, est en général présent, courage, trop
d’imagination, aime regarder par la fenêtre, à orienter vers une section
technologique … » Il sentait son angoisse s’accroître à chaque pas.
Il avait de toute évidence peur de l’école, lieu de ses échecs quotidiens, peur
des professeurs qui déchargeaient leur bile, ou essayaient, pour certains de
faire appel à sa conscience, en vain, peur de ses camarades, qui s’amusaient
souvent à ses dépens et ne perdaient jamais une occasion de lui faire sentir
combien il était maladroit et sans défense. Depuis longtemps, il voyait l’école
comme une contrainte, un peu plus chaque jour il se sentait prisonnier, soumis
à une sorte de peine de prison indéfiniment longue, pour on ne sait quel crime
commis et qu’il lui fallait purger en silence et dans la
résignation : apprendre à apprendre, subir et s’intégrer, couler dans le
moule comme un fromage à la louche.
Déjà à l’école primaire, il aimait
regarder par la fenêtre les nuages défiler et imiter des figures plus ou moins
connues, poussés par les vents qui eux n’étaient pas contraints à
l’enfermement. Les fenêtres étaient devenus par la suite une épreuve pour
lui, au collège et au lycée, elles n’avaient plus pour fonction de l’aider à
s’évader, mais par une terrible malédiction, jetée par on ne sait quel
tortionnaire, elles avaient pour rôle d’emprisonner les regards juvéniles, son
regard ! Leur mission : séparer les yeux et l’attention des enfants,
desdits nuages. Simon avait souvent détesté le sadique qui avait
pensé qu’il valait mieux enfermer les gamins pour qu’ils apprennent bien,
l’empêchant ainsi de s’évader via les figures des nuages. Il ne
comprenait pas cette sorte de malédiction qui l’empêchait de voir les choses du
ciel et du dehors à sa convenance. « La vie à plusieurs est déjà
suffisamment difficile sans qu’en plus, on bride les regards, »se
disait-il régulièrement. Il eut parfois l’idée d’aller demander un
certificat médical à son médecin pour claustrophobie. Une fois, il se rappela
avoir rempli son billet d’absence sur son carnet de correspondance, indiquant
le motif suivant : » Simon n’a pas pu venir en classe, car il
ne supporte pas le béton, et le carrelage moche à petits carreaux «, cela
lui avait valu 4 heures de colle !
Depuis, il en voulait terriblement à cette
malédiction des fenêtres dont l’intention consistait à maintenir
prisonnier l’âme des enfants. Souvent, il eut envie que les écoles françaises
ressemblèrent à Poudlard. Si seulement, « l'étroit chemin »
qu’il empruntait tous les matins pouvait « déboucher sur la rive d'un
grand lac noir » comme dans Harry Potter. Ainsi ne perdrait-il
jamais de temps à traverser le lac pour se rendre « au sommet de la
montagne, ou se trouverait « un immense château hérissé de tours
pointues qui étincèlerait de toutes ses fenêtres dans le ciel
étoilé. »
« Messieurs les concepteurs des écoles
réelles, vos écoles ne ressemblent pas à l’enfance ! «
pensait-il souvent.
Simon voulait un château pour lycée,
avec sept étages, cent quarante -deux escaliers, de tailles et de formes
différentes, au bout desquels on retrouverait de nombreuses portes dans un
labyrinthe de couloirs. Certaines refuseraient de s'ouvrir et d'autres ne le pourraient
pas puisqu'il s'agirait en réalité de pans de murs déguisés en portes. Il
aurait voulu un château où tout bouge sans cesse, pour avoir de
vraies excuses lors de ses retards, une école qui n'apparaitrait jamais
sur une carte, que les élèves soient conduits en barques, au lieu des bus, ou
en diligences, sept passages secrets lui permettraient de mieux
filer à l’anglaise, afin de profiter du lac lorsqu’il ferait beau ou boire un
petit café à l’auberge "La Tête de Sanglier" par temps de
pluie.
Il aimerait que le lycée soit protégé par un
sortilège, de telle sorte qu’un mayennais s'approchant de Snobocdo ne verrait
que des ruines et poursuivrait son chemin. Il voudrait également que le lycée
soit protégé des mauvais profs, ceux-là même qui le martyrisent
depuis longtemps. Bref, il voulait Poudlard à Snobocdo ! Au lieu de cela,
il n’avait qu’un lieu où on apprend à vivre entre deux sonneries !
Quel manque de magie ! Pendant qu’il pensait à tout cela, dans un flot
ininterrompu de pensées et de souvenirs de lectures, la sonnerie retentit,
appelant les élèves à reprendre les cours après la pause déjeuner que Simon
venait de louper, trop perdu dans ses pensées. L’après-midi, la classe de Simon
avait un devoir de sciences physiques, qu’il n’avait pas noté dans son agenda.
Il faut dire qu’il est souvent bien plus occupé à amuser ses camarades durant
ce cours, qu’à prendre les devoirs en notes.
Si la physique s’entend comme la science qui
nous permet de comprendre ce que nous observons de façon générale autour de
nous, Simon est un physicien dans l’âme, il comprend effectivement, vite et
bien tout le potentiel de bêtises à faire dans ce laboratoire. Si la physique
est la science qui permet d’expliquer pourquoi une pomme tombe lorsqu’on la
lâche, il est toujours le premier à faire tomber la pomme, sans nécessairement
comprendre pourquoi elle tombe ! De même, si la physique permet également
de comprendre ce qu’est l’électricité ou encore la lumière et ses
nombreuses propriétés, Simon est toujours le premier à expérimenter
l’interrupteur de la classe, sans comprendre pour autant ce qu’est
l’électricité. Si la physique est cette science qui permet de comprendre
comment un avion peut voler, il est toujours le premier à essayer de faire
voler l’avion en papier dans le dos du professeur, sans comprendre pour autant
les lois de l’aéronautique.
Quant à la Chimie, elle permet
elle aussi d’expliquer un grand nombre de phénomènes. On se représente souvent
le chimiste en train de mélanger des produits mystérieux dans des récipients
compliqués pendant que d’autres bouillonnent et changent de couleur dans une
atmosphère remplie de vapeurs nauséabondes…avec Simon, cette image d’Epinal
devient réalité ! Si la Chimie est la science des transformations
observables lors de la mise en contact de plusieurs substances qui, à la suite
d’une réaction chimique, disparaissent, se transforment et donnent naissance à
d’autres substances, force est de constater que lorsque Simon expérimente
lui-même certains mélanges de potions, nul n’a le temps d’observer quoi que ce
soit, si ce n’est la désagréable sensation d’odeur nauséabonde, ainsi que le
picotement dans les yeux.
Simon était bien décidé à ne pas
passer cette épreuve. C’est ainsi qu’il décida de récupérer le billet relevant
les absences que chaque professeur doit remplir en début de cours, dans la
boite à billets au bout du couloir avant que les surveillants ne mettent la
main dessus, et ainsi rayer son nom dudit papier, afin que ses parents ne
soient pas prévenus de son absence. Il ne pouvait évidemment pas rentrer à la
maison, s’il entrait maintenant, sa mère ne manquerait pas de lui demander des
explications et de vérifier auprès de la vie scolaire si effectivement des
professeurs étaient bien absents ce jour-là. Tout ce qui lui restait à faire,
c’était de demeurer caché dans l’établissement jusqu’à la sonnerie finale de la
fin de journée, marquant la fin des cours. C’est ainsi qu’il se mit à arpenter
les couloirs à pas lents, le bâtiment lui parut désert, il se retrouva pour
finir devant une porte qu’il n’avait jamais remarquée, peinte dans le même
jaune que les mûrs alentours. Et soudain il sut qu’il s’agissait du bon
endroit, l’unique endroit où il ne risquait pas d’être recherché, ni trouvé.
Simon poussa la porte qui s’ouvrit lentement en grinçant et un long rayon de
lumière traversa en un instant la pièce vaste et sombre, certainement
l’antichambre du CDI, là où les documentalistes entreposaient les vieux livres,
les vieilles revues….le grenier de Snobocdo en somme, bien des éléments le
laissaient penser : il y régnait un odeur de poussière, d’imposants
piliers composés de livres et de journaux s’élevaient à intervalles réguliers
du plancher pour toucher les poutres de la charpente, ça et là pendaient
d’immenses toiles d’araignée que le courant d’air de la porte ouverte avait
animées. Ici il sera introuvable se disait-il, personne ne viendrait le
chercher vu l’état du lieu, il devait être rare que quelqu’un vienne. Simon
explora un peu la pièce il y avait là tout ce que le lycée rejetait, des
étagères pleines de classeurs, d’archives de bulletins et de dossiers
scolaires, des tables et chaises empilés, des cartes de géographie, des
estrades et autres tableaux noirs, des récipients en verre cassés, un squelette
humain, sans doute Oscar sorti du labo de SVT, des caisses pleines de vieux
cahiers et livres scolaires. Il se mit à regarder puis fouiller dans les
piles de livres, ne trouvant là que des pages jaunies par le temps, aimant à
imaginer les vies qu’ont pu mener ces livres, et à travers eux, les élèves qui
les ont possédés. Soudain son regard est attiré par le coin d’un livre enfoui
sous un tas de revues anonymes. Il souleva nonchalamment la pile pour découvrir
ce livre qui l’intriguait un peu. On eut dit un vieux grimoire, la couverture
de couleur rouge était recouvert d’un cuir très épais parsemé de
tâches.
C’est alors que Simon crut ressentir comme
des picotements lui parcourant les paumes des mains, rien de désagréable, le
contact du livre lui procura une agréable chaleur…Simon déplia le livre qui
s’ouvre alors en son plein milieu, le papier a l’air très vieux mais de bonne
qualité. L’écriture sur le côté gauche du livre est tout à fait lisible, tandis
que les autres pages, constituant sa partie droite, semblent vierges de toute
écriture, et à la fin des dizaines de pages sont totalement collées. Simon se
décida à occuper le temps en lisant ce livre qui l’intriguait vraiment, il
traîna un vieux matelas près d’une lucarne, s’assit confortablement, prit le
livre, l’ouvrit à la première page et se mit à lire :
IL ETAIT UNE FOIS
PHILOLAND
TOME 1 : LA COMMUNAUTE DE LA SAGESSE
(passage inspiré du début de "l'histoire
sans fin")
« Les
personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute
ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne
saurait être que fortuite. »
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